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" Une plus-value technique par des semences locales "

Julien Planche, responsable technique de l'entreprise Phytosem : « En réponse aux appels d'offres, on peut difficilement afficher des prix supérieurs de 20 à 30 %, alors que le prix des semences locales peut, sur certaines espèces, comme l'achillée millefeuille, être jusqu'à trois fois supérieur aux semences d'importation. »PHYTOSEM

Productrice de semences de plantes sauvages d'origine locale depuis vingt-cinq ans, l'entreprise Phytosem, installée à Gap (05), a acquis un savoir-faire tant en matière de récolte et de culture que de revégétalisation de sites dégradés. Rencontre avec le responsable technique de la société, Julien Planche.

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Outre les atouts sur la préservation de la biodiversité (flore, faune, habitats naturels, génétique), les semences de plantes sauvages issues d'une récolte locale peuvent apporter une réponse technique pour la végétalisation sur des zones dégradées, là où les mélanges classiques ont des difficultés à s'implanter. Ces végétaux bénéficient en effet d'une capacité de reprise et d'adaptation supérieure, leur capital génétique leur permettant de s'accommoder aux aléas du climat. Après un chantier de terrassement, il serait tout à fait possible de laisser la végétation spontanée se redévelopper naturellement à partir des semences provenant des zones environnantes, ou du stock de graines présent dans la terre remise en place. Cependant, ce reverdissement serait très long à se mettre en place. « La végétalisation a pour but d'améliorer la rapidité de couverture et de limiter l'érosion, explique Julien Planche, responsable technique de l'entreprise Phytosem. Sur un terrain en pente sans une couverture rapide, les particules fines sont entraînées par la pluie. Or, la plupart des graines ont besoin de ces matériaux fins pour germer. De plus, quand la terre végétale est présente, elle n'est pas toujours gérée de façon optimale. On se retrouve alors sur des milieux perturbés, des sols chamboulés, avec peu de vie microbienne, des conditions peu favorables à la germination des vivaces. » Mis à part quelques situations particulières, il faut souvent prévoir un réensemencement avec des sujets aptes à se développer sur ces sols ingrats, des espèces pionnières s'implantant rapidement et capables de recréer une dynamique végétale, favorisant ensuite l'implantation des autres plantes. « La plupart de celles que nous mettons en culture font partie de cette catégorie de pionnières. Elles constituent ce que nous appelons des valeurs sûres. Trois espèces représentent presque 80 % de notre production : la pimprenelle, le plantain lancéolé, l'anthyllide vulnéraire, aux côtés d'une vingtaine d'autres comme le plantain corne de cerf, le coquelicot, l'alysse maritime, l'achillée millefeuille... Le choix s'est fait progressivement en observant ce qui pousse spontanément sur des terrains mis à nu. »

Pas toujours facile de choisir des semences-mères. Les semences commercialisées par Phytosem sont issues de deux processus : la récolte directe sur un site naturel pour plus de cent vingt espèces, et la production de semences de culture menée par des agriculteurs pour une vingtaine d'autres à partir de semences-mères locales récoltées au départ sur un site naturel. Dans les deux cas, les populations sur lesquelles sont récoltées les graines doivent être choisies avec rigueur, mais ce choix n'est pas toujours facile. Le premier facteur limitant est la disponibilité. « La charte Végétal local impose de ne pas effectuer des collectes plus de trois années consécutives sur un même site, souligne Julien Planche. Pour de nombreuses espèces, nous pouvons difficilement le faire, faute d'espaces disponibles. Nous privilégions les écotypes des Alpes du Sud, vivant dans des conditions difficiles et aptes à s'adapter à la plupart des zones montagnardes et méditerranéennes. Nous avons du mal à trouver des stations avec des populations suffisantes, même pour la récolte de semences-mères des espèces les plus courantes, comme l'anthyllide ou la pimprenelle. Le second facteur limitant est lié à l'historique de la parcelle qui, toujours selon la charte Végétal local, ne doit pas avoir subi d'ensemencement artificiel après 1970. Dans la plupart des cas, nous ne pouvons pas le garantir. Nous ne pouvons nous fier qu'à notre propre appréciation. Par exemple, nous récoltons les leucanthèmes sur une prairie naturelle mais rien ne prouve qu'elle n'a pas été cultivée à un moment donné. Les semences-mères de coquelicot sont récoltées dans des champs de colza ou à proximité, le souci des champs, Calendula arvensis, est récolté en bords de route. » Enfin, un dernier point a trait à la difficulté à différencier les diverses sous-espèces, comme pour l'anthyllide vulnéraire.

La récolte sur site naturel est effectuée exclusivement par l'entreprise. Il faut identifier précisément les espèces et apprécier la maturité des graines. Les récoltes s'effectuent espèce par espèce. Elles commencent aux mois de mai et juin en zone méditerranéenne, se poursuivent jusqu'en août en montagne et se terminent en octobre dans les zones humides.

Des dormances très échelonnées. Après le séchage, le tri des semences s'effectue selon différents procédés : par granulométrie (passage par plusieurs grilles successives), par densité (colonne à air, toboggan circulaire), ou par adhérence sur un tapis rugueux. Le stockage, réalisé dans un local isolé hors gel, ne nécessite pas de contrôles particuliers de la température et de l'hygrométrie, la situation géographique de l'entreprise dans les Alpes du Sud assurant des conditions sèches toute l'année. Les semences de plantes herbacées sauvages ont une durée de conservation limitée, trois ans au maximum. « Nous procédons à plusieurs analyses internes des lots de semences : pureté spécifique et germination sur papier buvard. Les semences collectées sur un site naturel présentent souvent des taux de germination bas en laboratoire, parfois seulement 10 à 20 %, bien que l'ensemble du lot soit viable. Cela est dû à de fortes dormances qui induisent une germination très échelonnée dans le temps. Sur le terrain, celle-ci peut s'étendre sur une, voire plusieurs années, selon les conditions », précise le responsable technique. À noter que certaines espèces sauvages sont classées en semences fourragères et dépendent d'un arrêté de commercialisation spécifique, avec des minimas requis en matière de pureté spécifique et de taux de germination (achillée millefeuille, plantain lancéolé, anthyllide vulnéraire). « Nos mélanges peuvent être destinés à s'adapter à des situations très variées. Dans ce cas, nous privilégions les espèces les plus polyvalentes et les pionnières pour assurer une couverture rapide, accompagnées d'autres espèces vivaces pour le plus long terme. Ils peuvent également être élaborés sur mesure en fonction des exigences du site et de l'usage final de la parcelle. On y intègre des légumineuses pour l'apport d'azote et leur bonne résistante aux longues périodes de sécheresse. Dans les mélanges, la législation nous impose d'indiquer la composition en pourcentage pondéral, mais pour le client, cela ne signifie pas grand-chose, étant donné que le nombre de graines au kilo est très variable d'une espèce à l'autre. Ainsi, un mélange titrant 1 % d'achillée millefeuille peut en réalité en contenir plus de 90 %. Nous recevons souvent des demandes de mélanges incohérentes qui ne tiennent pas compte de cet aspect, même de la part de bureaux d'étude. Ensuite, les mélanges à base de plantes sauvages se sèment à une densité très faible. Les paysagistes qui ont l'habitude de travailler avec des graminées à gazon ont beaucoup de difficulté à respecter ces densités qui se situent, suivant les mélanges, entre 2 et 20 grammes/m². » Semées en trop forte densité, quelques plantes prendront le dessus, empêchant la germination des autres. Il faut également veiller à bien brasser les sacs de semences avant emploi, les graines les plus fines et les plus denses étant entraînéesvers le bas pendant les manipulations.

Concurrence des semences d'importation. Bien que la demande en semences d'espèces sauvages soit bien supérieure à l'offre, Phytosem a du mal à valoriser financièrement sa production. Des donneurs d'ordres importants, comme la Compagnie nationale du Rhône, Canal de Provence, les réseaux de transport de l'électricité et du gaz, les autoroutes, les stations de ski, commencent à promouvoir les espèces locales. La demande est en augmentation, mais se pose rapidement un problème de disponibilité et de coût de production face aux importations. « Il est très difficile d'anticiper la demande d'une année sur l'autre. Les contrats de culture, comme celui que nous avons passé pour la ligne TGV Languedoc, sont trop rares, estime Julien Planche. Il faut un délai d'au minimum deux ans pour produire une quantité de semences donnée pour les espèces dont nous maîtrisons la culture, et trois à quatre ans s'il faut récolter sur un site avant mise en culture. » Or, les appels d'offres sont à échéance de quelques mois, et les demandes sont établies sans véritable connaissance des espèces et quantités réellement disponibles. Parallèlement, il faut rester en cohérence avec les prix du marché. Il est difficile d'afficher des prix supérieurs de 20 à 30 %, alors que le prix des semences locales peut, sur certaines espèces, comme l'achillée millefeuille, être jusqu'à trois fois supérieur aux semences d'importation. Pour certaines espèces récoltées à la main, comme les plantes de zone humide, le prix des graines peut atteindre de 200 à 400 euros le kilo. « Nous devons proposer des alternatives qui répondent aux exigences techniques pour un coût de revient limité, en jouant sur le choix et le pourcentage des différentes espèces qui composent le mélange, ou en faisant appel en partie à des semences d'importation. Par contre, sur nos propres chantiers de végétalisation, nous savons que le coût initial élevé des semences sera rapidement compensé à moyen et à long termes par une meilleure implantation. »

Seule une attestation d'origine délivrée par Phytosem garantit la parfaite traçabilité de ses semences locales. Vu la faible proportion de la production effectivement valorisée en tant que semences locales, il n'était pas rentable jusqu'à présent d'investir dans une labellisation. « Aussi, le signe de qualité Végétal local dans lequel nous nous sommes engagés représente une belle opportunité pour la reconnaissance de notre savoir-faire, le développement et la valorisation de la filière », conclut Julien Planche.

Claude Thiery

La végétalisation a pour but d'améliorer la rapidité de couverture et de limiter l'érosion après un chantier.

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Une piste de ski a été récemment végétalisée. Les installations de remontée mécanique sont entourées d'une étendue de fleurs.

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Le tri des semences s'effectue selon différents procédés : par densité (colonne à air - notre photo -, toboggan circulaire), granulométrie (passage par plusieurs grilles successives) ou adhérence sur un tapis rugueux.

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Très rustique, Melica ciliata a été installée sur une pelouse naturelle. Ici, au moment de la récolte.

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